Habitats interconnectés

09.03.23

La nature a besoin de suffisamment d’espace pour se développer. C’est en tous cas l’avis de Werner Müller, ancien directeur de Bird Life et membre du comité d’initiative. La biodiversité est menacée par les activités humaines, et offrir suffisamment d’espace dans nos campagnes en stabilisant le nombre de bâtiments hors zones à bâtir est primordial pour sa sauvegarde. Pour le bien de la nature, du paysage et de l’être humain.

Photo Raimund Rodewald

Werner Müller, ancien directeur de Birdlife Suisse et membre du comité de l’initiative paysage

Monsieur Müller, vous avez été directeur de BirdLlife Suisse pendant plus de 42 ans. Quels changements avez-vous pu voir dans le paysage suisse au cours de cette période ?

Werner Müller: Le sol suisse est utilisé de manière de plus en plus intensive. Les zones d’habitation se sont fortement étendues, les surfaces de transport se sont multipliées et le nombre de constructions en dehors des zones constructibles a augmenté de manière fulgurante.

Lorsque j’ai commencé à travailler dans la protection de la nature à la fin des années 1970, il était encore possible de détruire des marais entiers. Et ce, bien que ces précieux habitats étaient déjà réduits à l’époque à des parties infimes de leurs surfaces d’origine. J’ai encore assisté à la destruction du Steinmaurer Ried dans l’Unterland zurichois. Ce n’est que lorsque le peuple a accepté l’initiative de Rothenthurm en 1987 avec 58 pour cent de oui que la destruction des marais a été stoppée.

L’extension massive des zones à bâtir était le thème de la première initiative pour le paysage de 2008, dont le contre-projet a été accepté par le peuple cinq ans plus tard avec 63 pour cent des voix. Jusqu’à présent, la construction en dehors des zones à bâtir n’a pas été résolue. C’est pourquoi l’Initiative Paysage est très importante et urgente. L’urbanisation de la Suisse progresse fortement.

 Comment pouvons-nous préserver la biodiversité, fortement sollicitée par les activités humaines ?

La Suisse a besoin de suffisamment de zones non construites et de plus de surfaces protégées pour la biodiversité. Les générations futures nous seront reconnaissantes pour chaque mètre carré que nous n’avons pas encore construit ou détruit par une exploitation intensive.

Concrètement, il faut d’abord que toute la surface soit utilisée de la manière la plus compatible avec la biodiversité. La protection des espaces non construits est particulièrement importante. Deuxièmement, il faut suffisamment de surfaces prioritaires pour la biodiversité. Notre pays se classe en dernier de toute l’Europe en ce qui concerne les zones protégées. Et troisièmement, il existe des espèces animales et végétales menacées et prioritaires qui nécessitent des mesures spécifiques supplémentaires. Moins de poisons et de substances nutritives excédentaires sont une condition supplémentaire pour que la nature puisse à nouveau se porter mieux.

Pourquoi la séparation entre les zones constructibles et les zones non constructibles peut-elle améliorer les conditions de la biodiversité ?

D’une manière générale, la nature a besoin de surfaces non construites. Certes, certaines espèces animales et végétales sont présentes dans les agglomérations, à condition que celles-ci soient aménagées pour favoriser la nature. La promotion de la biodiversité dans les villes, les agglomérations et les communes est justement importante pour la population ou pour la découverte de la nature par les enfants.

Mais la plupart des espèces menacées ont besoin de suffisamment d’espace vital en dehors des zones urbaines. Beaucoup évitent la proximité de l’homme. Elles ont besoin d’habitats interconnectés. Chaque construction en dehors de la zone bâtie morcelle le paysage et nécessite à son tour une desserte par des routes. C’est là un cercle vicieux: le mitage du territoire est, avec l’intensification de l’utilisation des terres, notamment par l’agriculture industrielle, la cause principale de la crise actuelle de la biodiversité en Suisse.

L’arrêt de l’augmentation des constructions hors des zones à bâtir n’améliore pas encore beaucoup à lui seul les conditions de la biodiversité, mais il en est une condition décisive.

Pourquoi l’Initiative paysage veut-elle intervenir avec des règles d’aménagement du territoire – ne peut-on pas simplement agrandir les zones protégées pour sauver les espèces menacées ?

 L’Initiative paysage ne concerne de loin pas principalement les espèces menacées. Mais pour celles-ci, l’augmentation des constructions hors des zones à bâtir est également très dommageable. Le boom de la construction dans les zones rurales pose de sérieux problèmes à la nature et à l’être humain.

Pour l’être humain, il entraîne la perte d’espaces de détente et de possibilités de développement pour les générations futures, ainsi que la disparition de terres ouvertes destinées à la culture ou aux zones protégées. Il est devenu très difficile d’agrandir les zones protégées, et les constructions en dehors des zones constructibles – près de 40 % des surfaces bâties se trouvent désormais en dehors des zones constructibles – compliquent encore la tâche.

 Pourquoi l’Initiative paysage est-elle importante en ce moment ?

Le nombre de bâtiments situés en dehors des agglomérations ne cesse d’augmenter: en 2021, on en comptait déjà 590’000. Ce mitage et ce morcellement du paysage sont, dans la plupart des cas, irréversibles. Chaque année, de nombreuses constructions supplémentaires en dehors des agglomérations aggravent le problème.

Pendant des décennies, le Parlement n’a cessé d’adopter de nouvelles dérogations à la loi sur l’aménagement du territoire, qui alimentent le mitage. Nous avons atteint un niveau de construction dans les zones non constructibles tel que des changements urgents sont nécessaires, que ce soit avec l’initiative paysage ou avec le contre-projet à la loi sur l’aménagement du territoire.

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